Mélanie Jolly était présente à la Rencontre d’enseignants de Contact Improvisation en France en juillet 2013.
Réflexions autour des questions sociales, philosophiques, politiques et des réseaux
La représentation du Contact-Improvisation
La question de la représentation du Contact Improvisation par rapport au milieu culturel institutionnel en France a été soulevée tout d’abord.
Quelle reconnaissance trouvons-nous? Quelle intérêt pour cette reconnaissance?
Selon les lieux, le Contact-Improvisation a plus ou moins bonne image, il peut être apparenté à de l’amateurisme et discréditer un travail de création professionnelle qui en ferait mention, aux yeux de certains financeurs ou programmateurs.
Dans certaines villes ou régions, au contraire, cette pratique est reconnue, enseignée dans les CCN ou conservatoires, ou autres lieux liés à la danse contemporaine.
Le Contact-Improvisation peut alors parfois être « utilisé » seulement comme un outil technique au service de la chorégraphie en danse contemporaine, détourné de sa forme improvisée. Mais est-ce bien là ce que l’on veut défendre à travers cette pratique?
Nous parlerons plus loin des enjeux qui pour nous dépassent la forme du Contact-Improvisation, pour aller vers des propositions de modèles socio-politiques, et de construction de Soi, et qui nous semblent être le fond de cette pratique.
Nous avons aussi évoqué le fait que, selon les différents milieux où était proposé ce travail du Contact-Improvisation, la représentation que l’on en avait n’était pas la même et jouissait de plus ou moins de reconnaissance. Par exemple, dans les milieux thérapeutiques, ou de travail avec des publics en difficulté, cette pratique trouvait beaucoup de résonances, de même que dans d’autres milieux artistiques, tels que le cirque.
Mais les images véhiculées par ces relations peuvent dévier de l’image originelle et centrale du CI, donner l’idée que c’est une pratique thérapeutique/de développement personnel pour certains, ou acrobatique pour d’autres. Il nous semble que le Contact-improvisation n’est rien de tout cela, ou tout à la fois et beaucoup plus.
Qu’est ce que le CI? Un art-sport? Une danse? De l’improvisation? Une philosophie? Une physicalité?
Se pose alors la question de la manière dont nous communiquons sur le CI.
Redéfinir ce qu’est le CI pour nous, en nous accordant sur les mots qui nous semblent les plus justes, est un moyen fort pour être en mesure ensuite de savoir assumer la manière dont nous présentons cette pratique, d’être plus clairs avec nous-même, tout en ayant conscience des personnes à qui l’on s’adresse.
Tout d’abord, nous avons souligné le fait qu’il est important de nommer le CI « Contact Improvisation » ou « Danse Contact Improvisation » mais surtout pas « Danse Contact », qui est apparenté dans certaines zones (Canada, internet) à des pratiques érotiques. Privilégier donc « Contact Improvisation » afin d’éviter tout raccourci et amalgames.
Quelques mots-racines nous apparaissent fondamentaux.
– les origines : le contexte historique. Pratique née dans les années 70, dans un contexte politique particulier. Relation avec l’aïkido.
– les lois physiques : poids, gravité, inertie
– l’expérimentation, l’expérience comme point central de chaque danse
– l’écoute
– le respect du corps
– l’improvisation, la spontanéité
– la conscience corporelle, affiner sa sensibilité
– la démocratie, la dimension humaniste
– le jeu
Et, surtout, montrer cette danse est un des meilleurs moyens de l’expliquer et de la faire connaître : oser sortir dans les rues, aller vers les gens, les inviter à pratiquer.
Que l’expérience physique soit porteuse de sens dans le positionnement social.
Que les mots employés soient porteurs de sens physiquement et poétiquement.
Connaissance, conscience, métaphysique…
Les origines du CI, et la forme improvisée sont porteurs des fondements philosophiques et professionnels : cette pratique est née comme une réponse dansée d’un courant politique de revendication. Elle était en marge, en rébellion, collision avec un système. La physicalité dans la pratique s’en ressentait (cf Magnesium). Aujourd’hui, est-ce qu’elle reste une revendication? Peut-être, mais de manière plus souple. La pratique est davantage à l’image de la coopération dans le courant socio-politique.
Pourquoi ne pas mutualiser et diffuser cette pratique avec les courants coopératifs, alternatifs, et ses réseaux (AMAP, etc.)?
En même temps, il nous semble important de rencontrer les institutions, d’aller avec pour aller ailleurs, pour apporter quelque chose d’autre. Comment de contre-culture, le CI s’intègre dans la culture et nourrit tous les champs artistiques? En même temps, comment rester intègre et fidèle à ses valeurs d’origine?
Le sens du Contact-Improvisation
Le contact-improvisation nous nourrit :
Nourriture énergétique, sensorielle.
Par la variété des contacts : chaque rencontre fait grandir.
A travers ce contact, chacun apparaît au regard des autres, et pose sur lui-même un regard se rapportant à ce regard posé sur lui. A travers la différence de l’autre, j’apprends à me connaître moi-même.
Ainsi la pratique nous permet d’agrandir, approfondir, élargir notre identité, accéder à toujours plus de perception et de connaissance de soi.
C’est parce que l’on est touché, impacté, que l’on fait la rencontre avec Soi, avec l’Être. La connaissance acquise par l’expérience concrète des choses que nous permet cette pratique du Contact Improvisation est quelque chose de central dans l’évolution de nos rapports à soi, aux autres, au monde.
Création instantanée d’un rapport à l’autre. Nous travaillons à quitter les attentes, à lâcher-prise tout en étant profondément conscient de tout ce qui advient. C’est une forme de méditation en mouvement.
La prise de risque nous place aussi dans une vigilance qui développe notre instinct, qui nous fait redécouvrir ce potentiel d’adaptabilité. Nous cassons nos habitudes, nous acceptons l’évolution constante, l’impermanence, le dépassement perpétuel de nos limites. A travers l’adaptation à l’autre, je développe mon potentiel humain.
La liberté vécue dans la pratique nous place dans notre responsabilité de l’instant présent, par rapport à nous-même et par rapport aux autres, mais aussi par rapport à la vie, au vivant en général. Nous apprenons à écouter nos besoins, à les affirmer, à dire « non », et nous apprenons en même temps à accepter les besoins, les affirmations de l’autre.
L’expérience sociale non verbale, non formelle nous emmène vers un détachement de l’identification et vers d’autres modes d’identification que ceux des codes sociétaux (profession, âge, sexe …) Nous découvrons notre personnalité dans la danse, différente de la personnalité sociale. Nous observons les autres dans leurs personnalités dans la danse.
En même temps, la pratique nous raconte, nous enseigne beaucoup de nos manières d’être en relation avec les autres dans la vie quotidienne.
Certaines recherches autour des neuro-sciences et du cerveau proposent des observations du cerveau droit comme étant le cerveau qui nous relie à l’interdépendance du vivant, la relation de notre être à l’univers. L’ouverture du cerveau droit crée une disponibilité à recevoir des informations contenues en soi ou dans les pensées qui émanent de chaque corps ou du cosmos. Cette ouverture à d’autres dimensions de nos êtres est quelque chose d’inhérent à des pratiques de méditation. Est-ce que la pratique du CI, plus ou moins consciemment, nous porte à développer ces capacités?
En passant par l’intériorité personnelle, on accéderait à beaucoup plus que ce que l’on est, à une ouverture de conscience, une ouverture à la relation, à la dimension énergétique de notre Etre, qui inclue tous les Êtres dans toutes leurs dimensions.
Les recherches en physique quantique mettent en évidence la notion de chaos. Cette notion s’appliquerait à la société qui a permis l’émergence de la pratique du CI (une société en pleine remise en question, avec des désordres sociaux…) entre autres ; le chaos est part et essence de l’intégration énergétique des particules, l’intégration est matière, la matière est corps, sociétale lorsqu’il est collectif, elle s’applique aussi à la pratique elle-même, chaos de corps qui tendent vers une organisation en perpétuelle fluctuation, et à l’espace des cellules, des atomes, des électrons, etc.
Positionnement politique
Il nous a semblé intéressant de remarquer que, par la posture physique qu’il propose d’adopter, le CI déconstruit le positionnement social : passer physiquement de la verticalité à l’horizontalité crée un changement majeur de repères, de place que l’on prend. Cela revient à tenter d’occuper tout son espace vital dans une société qui nous demande de nous tenir debout et de prendre le moins d’espace possible…
Les notions de présence à soi, aux autres, d’éveil des perceptions, de vigilance, nous invitent à adopter ce même comportement en dehors de la pratique, à réveiller notre attention au quotidien, et de ce fait, à remettre en question les modèles socio-politiques dans lesquels nous vivons.
Lien entre la pratique en tant que telle et la manière d’enseigner.
Tout ce à quoi nous invite cette pratique du Contact-Improvisation, dans le rapport à soi et aux autres peut nous enseigner des manières d’être dans nos modes d’enseignement :
Être dans un état de présence, une ouverture des perceptions.
Observer ce qui se passe dans l’ « ici et maintenant » afin d’être en mesure de nous adapter à tout instant.
Le but de tout ceci nous semble être d’apprendre aux autres à trouver leur propre cheminement, à être responsables de leur évolution et de leur apprentissage.
Il nous semble important de souligner que nous incarnons ce qu’on enseigne dans le sens où notre état de présence, notre physicalité, notre ouverture des perceptions, etc. est consciemment ou inconsciemment une source d’informations et d’enseignement pour les personnes qui suivent nos ateliers.
Une spécificité du CI par rapport à d’autres pratiques
La grande spécificité de cette pratique est qu’il n’y a pas d’institutionnalisation.
De ce fait, le rapport de transmission s’apparente à la transmission orale dans les sociétés traditionnelles. Le parallèle a été accentué par le fait que certains d’entre nous ont trouvé une légitimation à devenir enseignants auprès de personnes qui les ont formé ou les forment encore.
Le système se veut donc sans leader. Mais nous avons besoin de questionner ce fait : est-il possible que des choses se développent sans que personne ne les initie? Et si ce n’est pas le cas, un initiateur est-il un leader? Ou alors quelle est la différence de positionnement?
Il nous semble important de soulever ce fait que tout événement relève de l’initiative d’un ou plusieurs individus. Et l’influence de tout initiateur sur un projet est énorme. Mais celui-ci donne la couleur sans imposer un contenu, il se positionne en racine plutôt qu’en cime / chef.
Initiateur / Racine
Chef / Cime
De plus, l’initiateur a la responsabilité du groupe :
– Responsabilité légale (assurances pour les locaux, le matériel, les participants)
– Responsabilité physique des participants
– Responsabilité morale, entre-autres sur la préservation des rapports hommes/femmes
– Responsabilité des résonances de la pratique chez chacun, au-delà du cadre de l’atelier ou de la jam
– Responsabilité de la représentation du CI qui sera véhiculée en dehors de l’espace de pratique.
D’où la nécessité de poser un cadre, qui sera différent selon les groupes, les contextes et les initiateurs :
– les horaires de début et de fin
– quelques règles fondamentales
– une vigilance à ce que tout le monde soit bien en partant, surtout pour les nouveaux.
Il est difficile de poser un cadre qui est vécu parfois comme contraignant dans une pratique qui se veut libre. Et pourtant cette importance de notre responsabilité nous semble suffisamment grande pour mériter de prendre aussi la responsabilité des quelques règles mises en place.
-delà de ses spécificités, le CI entretient des rapports plus ou moins étroits avec d’autres pratiques : rapport au massage, à l’éducation somatique, au théâtre (?), au taï-chi, à l’aïkido, à la danse contemporaine, avec conséquences thérapeutiques parfois.
Chacun vient avec toute son histoire de vie.
Il nous semble important de rappeler à quel point le CI est quelque chose de très impliquant pour les participants, d’où notre responsabilité.
Qu’est-ce que l’on transmet au delà de la technique?
Avons-nous un objectif commun partagé? Si oui, comment pourrions-nous le définir?
– Le plaisir
– Le sens kinesthésique
– Une détente, un état de disponibilité
– Une respiration, une libération des tensions, de notre énergie, un lâcher-prise
– Un retour à l’ « ici et maintenant »
– Une rééducation de nos expériences internes, correspondant en quelque sorte à une école de la vie : savoir qui je suis, où je suis
– Une conscience de la globalité de soi corps esprit, psychisme, etc.
– Être soi avec quelqu’un, qui est lui-même une présence, un être dans le temps présent. Tout cela nous emmène à la notion d’intelligence du corps.
Les réseaux
A travers les créations de réseaux, plusieurs identités du CI apparaissent, surtout en fonction de l’initiateur dans un endroit donné (région, ville, lieu de pratique)
Il y a des différences et plus ou moins d’ affinités.
Quelle cohérence malgré ces différences? Peut-on parler de clivages, d’écoles? D’après certains, l’accent est parfois davantage mis sur l’intériorité ou sur l’extériorité (ce qui peut amener une orientation du travail vers le spectaculaire et la prise en force).
De là découle la question de ce que chaque initiateur imprime de lui-même dans sa transmission de la pratique. D’où quelques questions qui sont laissées à la réflexion personnelle de tout enseignant :
– À partir de quand on est en train d’enseigner son propre travail et on dévie du CI?
– Qu’est ce qu’être enseignant du CI? Doit-on être strictement au service de cette pratique?
– A partir de quand est-on enseignant de ce que nous sommes, de ce qui nous intéresse, incluant le CI et pouvant aller au-delà?
Quelle posture en tant qu’enseignant?
Quelle posture de l’enseignant, quelle éthique, quelle sens de la responsabilité?
Nous partageons globalement le fait que nous sommes là pour aider l’autre à apprendre, afin qu’il devienne son propre enseignant. Nos connaissances se placent en toile de fond et non en premier plan afin de laisser la place à chaque « élève ».
Nous partageons au fil de notre vie ce que nous avons intégré du CI et évoluons dans notre enseignement au fur et à mesure de l’évolution de notre pratique.
Certains d’entre nous aiment parler d’animation, dans la posture que nous prenons, et non d’enseignement, dans ce sens d’apporter juste ce qu’on a soi-même expérimenté.
C’est aussi pour cela qu’il nous semble important de passer par une formation de pratiques somatiques, de se nourrir de beaucoup d’autres pratiques physiques.
L’éthique de l’enseignant inclut le fait d’aller chercher les connaissances dont il a besoin pour transmettre les fondamentaux.
Assumer quelque chose aussi dans notre posture, nos mots, nos retours peut être rassurant pour les participants. Il est important de trouver la justesse entre l’excès d’assurance et l’effacement.
Quelques questions pédagogiques se posent en rapport avec ce positionnement que nous cherchons :
– Doit-on faire des retours individuels ou collectifs? Tout retour fait peut enrichir tout le monde, mais parfois poser avec délicatesse et bienveillance des points à améliorer personnellement peut-être très apprécié des participants, comme une attention particulière à leur égard.
– Quel le temps/fréquence de la parole et quelle masse d’informations données? Comment juger, jauger du fait qu’on en dise trop ou pas assez? Doit-on répéter des infos?
– Danser avec les participants leur permet d’être déjà en train d’apprendre en regardant. Grâce aux fonctionnements cérébraux et notamment aux neurones-miroir, même sans s’en apercevoir, les participants intégreront des informations.
Doit-on travailler avec les contre-exemple? Montrer « ce qu’il ne faut pas faire »?
Aller à l’opposé peut permettre de prendre conscience des tensions / tendances.
Quel rythme dans l’enseignement?
Doit-on faire des démonstrations ou laisser chacun trouver son chemin, pour éviter de prendre en force?
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